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Dans son arrière-garde se trouvaient Roland, le préfet de la Marche de Bretagne ; Anselme, le comte du palais ; Eggihard, le « prévôt de la table royale » ; toute l’élite de sa cour, tous les chefs de son armée.

La grande armée avait passé sans encombre.

Mais tout à coup, au moment où l’arrière-garde arrivait en ce passage étroit de la montagne qu’indique la petite chapelle d’Ibagneta, un bruit formidable se fit entendre dans les bois épais dont cette partie des Pyrénées est encore couverte. Des milliers d’hommes en sortirent et se jetèrent sur les soldats de Charles. Ces agresseurs inattendus, c’étaient les Gascons, que tentait l’espoir d’un gros butin, et qui, d’ailleurs, — comme tous les montagnards, — n’aimaient pas que l’on violât ainsi leurs montagnes. Ils précipitèrent les Francs dans le petit vallon qui est là tout près, afin de se donner la joie de les égorger tout à leur aise. Et de fait, ils les égorgèrent jusqu’au dernier.

C’est ainsi que mourut Roland.

L’histoire ajoute que les Gascons se dispersèrent, que leur crime demeura impuni, et que Charles en ressentit une longue et cruelle douleur.

Tel est le fait que raconte Éginhard au chapitre neuvième de sa Vie de Charlemagne. On en trouve également le récit dans les célèbres Annales qui ont été si longtemps attribuées à ce même Éginhard, comme aussi dans les vers du poëte saxon et dans la chronique de l’Astronome Limousin[1]

  1. Voici les textes très-importants sur lesquels s’appuie toute notre légende et d’où notre Chanson est sortie :

    I. « Hispaniam quam maximo poterat belli apparatu adgreditur Karolus, saltuque Pyrinei superato, omnibus quæ adierat oppidis atque castellis in deditionem susceptis, salvo et incolumi exercitu revertitur, præter quod, in ipso Pyrinei jugo, Wasconicam perfidiam parumper in redeundo contigit experiri. Nam cum, agmine longo, ut loci etangustiarum situs permittebat, porrectus iret exercitus, Wascones, in summi montis vertice positis insidiis (est enim locus ex opacitate silvarum, quarum ibi maxima est copia, insidiis ponendis opportunus) ; extremam impedimentorum partern et eos, qui, novissimi agminis incedentes, subsidio præcedentes tuebantur, desuper incursantes, in subjectam vallem dejiciunt, consertoque cum in prœlio, usque ad unum omnes interficiunt ac, direptis impedimentis, noctis beneficio quæ jam instabat protecti, summa cum celeritate in diversa disperguntur. Adjuvabat in hoc facto Wascones et levitas armorum, et loci in quo res gerebatur situs ; econtra Francos et armorum gravitas et loci iniquitas