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tirai mon couteau, — le couteau que voici, messieurs ; — je saisis la patte gauche de l’ours et lui coupai trois doigts : il me lâcha alors et se mit à hurler terriblement. Je pris mon fusil, je fis feu au moment où la bête se mettait en devoir de s’en retourner et je l’étendis morte. Le monstre sanguinaire était endormi du sommeil éternel ; mais le bruit de mon arme avait réveillé plusieurs milliers de ses compagnons qui reposaient sur la glace dans un rayon d’un quart de lieue. Ils coururent tous sur moi à franc étrier.

Il n’y avait pas de temps à perdre ; c’en était fait de moi s’il ne m’arrivait pas une idée lumineuse et immédiate : — elle arriva ! En moins de temps qu’il ne faut à un chasseur habile pour dépioter un lièvre, je déshabillai l’ours mort, m’enveloppai de sa robe et cachai ma tête sous la sienne. J’avais à peine terminé cette opération, que toute la troupe s’assembla autour de moi. J’avoue que je sentais, sous ma fourrure, des alternatives terribles de chaud et de froid. Cependant ma ruse réussit à merveille. Ils vinrent l’un après l’autre me flairer, et parurent me prendre pour un de leurs confrères. J’en avais du reste à peu près la mine ; avec un peu plus de corpulence la ressemblance eût été parfaite, et même il y avait dans l’assemblée plusieurs petits jeunes ours qui n’étaient guère plus gras que moi ; après qu’ils m’eurent bien flairé, moi et le cadavre de ma victime, nous nous familiarisâmes rapidement : j’imitais parfaitement tous