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vi
préface.

mot, lance sa fusée, pétille et mousse comme du vin de Champagne, mais bientôt elle s’éteint, laissant à peine au fond de la coupe deux ou trois perles de liqueur. Cela serait trop léger pour des gosiers allemands habitués aux fortes bières et aux âpres vins du Rhin : il leur faut quelque chose de plus substantiel, de plus épais, de plus capiteux. La plaisanterie, pour faire impression sur ces cerveaux pleins d’abstractions, de rêves et de fumée, a besoin de se faire un peu lourde ; il faut qu’elle insiste, qu’elle revienne à la charge, et ne se contente pas de demi-mots qui ne seraient pas compris. Le point de départ de la plaisanterie allemande est cherché, peu naturel, d’une bizarrerie compliquée, et demande beaucoup d’explications préalables assez laborieuses ; mais la chose une fois posée, vous entrez dans un monde étrange, grimaçant, fantasque, d’une originalité chimérique dont vous n’aviez aucune idée. C’est la logique de l’absurde poursuivie avec une outrance qui ne recule devant rien. Des détails d’une vérité étonnante, des raisons de l’ingéniosité la plus subtile, des attestations scientifiques d’un sérieux parfait servent à rendre probable l’impossible. Sans doute, on n’arrive pas à croire les récits du baron de Münchhausen, mais à peine a-t-on entendu deux ou trois de ses aventures de terre ou de mer, qu’on se laisse aller à la candeur honnête et minutieuse de ce style, qui ne serait pas autre, s’il avait à raconter une histoire vraie. Les inventions les plus monstrueusement extravagantes prennent un certain air de vraisemblance, déduites avec cette tranquillité naïve et cet aplomb parfait. La connexion intime de ces mensonges qui s’enchaînent si naturellement les uns aux autres finit par détruire chez le lecteur le sentiment de la réalité, et l’harmonie du faux y est poussée si loin qu’elle produit une illusion relative semblable à celle que font éprouver les Voyages de Gulliver à Lilliput et à Brobdignag, ou bien encore l’Histoire