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pauvre diable, ramassé en boule sous un maigre rayon de soleil. ― Sans doute il pensait aux rives verdoyantes de l’Hoogly, à la grande pagode de Jaggernaut, aux danses des bibiaderi dans les chauderies et à la porte des palais ; il se berçait dans quelque inexprimable rêverie orientale, toute pleine de reflets d’or, imprégnée de parfums étranges et retentissante de bruits joyeux, car il tressaillit comme un homme qu’on réveille en sursaut lorsque le groom de Musidora lui fit signe que sa maîtresse voulait lui parler.

Il arriva avec sa petite boutique suspendue à son cou et fit un salut profond aux deux jeunes femmes en portant les deux mains à sa tête.

« Lis-nous ceci, » dit Musidora, en lui présentant le papyrus.

Le marchand de dattes prit la feuille qu’on lui tendait et lut avec un accent singulier et profond ces caractères qui avaient résisté aux lunettes de deux savants.

Musidora palpitait de curiosité inquiète.

« Excusez-moi, madame, dit le marchand en essuyant une larme qui débordait de ses yeux noirs. Je suis le fils d’un rajah ; des malheurs trop longs à vous raconter m’ont fait quitter mon pays et réduit à la position où vous me voyez. Il y a six ans que je n’ai entendu ou lu un mot de ma langue ; c’est le premier bonheur que j’aie éprouvé depuis bien longtemps.