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en marche comme une cascade sur un escalier de porphyre : l’on aurait dit la réverbération d’un incendie dans une rivière ; si la reine de Saba y eût monté, elle eût relevé le pli de sa robe croyant marcher dans l’eau comme sur le parquet de glace de Salomon. À travers ce brouillard étincelant, les figures monstrueuses des colosses, les animaux, les hiéroglyphes semblaient s’animer et vivre d’une vie factice ; les béliers de granit noir ricanaient ironiquement et choquaient leurs cornes dorées, les idoles respiraient avec bruit par leurs naseaux haletants.

L’orgie était à son plus haut degré ; les plats de langues de phénicoptères et de foies de scarus, les murènes engraissées de chair humaine et préparées au garum, les cervelles de paon, les sangliers pleins d’oiseaux vivants, et toutes les merveilles des festins antiques décuplées et centuplées, s’entassaient sur les trois pans du triclinim. Les vins de Crète, de Massique et de Falerne écumaient dans les cratères d’or couronnés de roses, remplis par des pages asiatiques dont les belles chevelures flottantes servaient à essuyer les mains des convives. Des musiciens jouant du sistre, du tympanon, de la sambuque et de la harpe à vingt et une cordes, remplissaient les travées supérieures et jetaient leur bruissement harmonieux dans la tempête de bruit qui planait sur la fête : la foudre n’aurait pas eu la voix assez haute pour se faire entendre.