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l’impossible avec toute l’ardeur de sens que le long jeûne chrétien n’a pas encore matés ?

La nuit promise devait être splendide ; il fallait que toutes les joies possibles d’une existence humaine fussent concentrées en quelques heures ; il fallait faire de la vie de Meïamoun un élixir puissant qu’il pût boire en une seule coupe. Cléopâtre voulait éblouir sa victime volontaire, et la plonger dans un tourbillon de voluptés vertigineuses, l’enivrer, l’étourdir avec le vin de l’orgie, pour que la mort, bien qu’acceptée, arrivât sans être vue ni comprise.

Transportons nos lecteurs dans la salle du banquet.

Notre architecture actuelle offre peu de points de comparaison avec ces constructions immenses dont les ruines ressemblent plutôt à des éboulements de montagnes qu’à des restes d’édifices. Il fallait toute l’exagération de la vie antique pour animer et remplir ces prodigieux palais dont les salles étaient si vastes qu’elles ne pouvaient avoir d’autre plafond que le ciel, — magnifique plafond, et bien digne d’une pareille architecture !

La salle du festin avait des proportions énormes et babyloniennes ; l’œil ne pouvait en pénétrer la profondeur incommensurable ; de monstrueuses colonnes, courtes, trapues, solides à porter le pôle, épataient lourdement leur fût évasé sur un socle bigarré d’hiéroglyphes, et