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fleuve, laissant derrière elle un sillage argenté qui se refermait bientôt ; et quelques globules écumeux, venant crever à la surface, témoignaient seuls du passage de la barque, déjà hors de vue.

Les berges du fleuve, couleur d’ocre et de saumon, se déroulaient rapidement comme des bandelettes de papyrus entre le double azur du ciel et de l’eau, si semblables de ton que la mince langue de terre qui les séparait semblait une chaussée jetée sur un immense lac, et qu’il eût été difficile de décider si le Nil réfléchissait le ciel, ou si le ciel réfléchissait le Nil.

Le spectacle changeait à chaque instant : tantôt c’étaient de gigantesques propylées qui venaient mirer au fleuve leurs murailles en talus, plaquées de larges panneaux de figures bizarres ; des pylônes aux chapiteaux évasés, des rampes côtoyées de grands sphinx accroupis, coiffés du bonnet à barbe cannelée, et croisant sous leurs mamelles aiguës leurs pattes de basalte noir ; des palais démesurés faisant saillir sur l’horizon les lignes horizontales et sévères de leur entablement, où le globe emblématique ouvrait ses ailes mystérieuses comme un aigle à l’envergure démesurée ; des temples aux colonnes énormes, grosses comme des tours, où se détachaient sur un fond d’éclatante blancheur des processions de figures hiéroglyphiques ; toutes les prodigiosités de cette architecture de Titans : tantôt des paysages d’une aridité désolante ; des collines