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finit par se gonfler et s’arrondir comme un sein plein de lait ; les rameurs haletants se mirent à l’ombre sous leurs bancs, et il ne resta sur le pont que deux matelots, le pilote et Ctésias, qui était assis au pied du mât, tenant sous son bras une petite cassette où il y avait trois bourses d’or et deux poignards affilés tout de neuf, sa seule ressource et son dernier recours s’il ne réussissait pas dans sa tentative désespérée.

Voici ce que l’enfant voulait faire : il voulait aller se jeter aux pieds de Bacchide, baigner de larmes ses belles mains, et la supplier, par tous les dieux du ciel et de l’enfer, par l’amour qu’elle avait pour lui, par pitié pour sa vieille mère que sa mort pousserait au tombeau, par tout ce que l’éloquence de la passion pourrait évoquer de touchant et de persuasif, de lui donner la chaîne d’or que Plangon demandait comme une condition fatale de sa réconciliation avec lui.

Vous voyez bien que Ctésias de Colophon avait complétement perdu la tête. Cependant toute sa destinée pendait au fil fragile de cet espoir ; cette tentative manquée, il ne lui restait plus qu’à ouvrir, avec le plus aigu de ses deux poignards, une bouche vermeille sur sa blanche poitrine pour le froid baiser de la Parque.

Pendant que l’enfant colophonien pensait à toutes ces choses, le navire filait toujours, de plus en plus rapide, et les derniers reflets du soleil couchant jouaient encore sur l’airain poli des