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Leurs voix prenaient chaque jour un éclat extraordinaire, et vibraient d’une façon métallique et cristalline au-dessus des registres de la voix naturelle. Les jeunes filles maigrissaient à vue d’œil ; leurs belles couleurs se fanaient ; elles étaient devenues pâles comme des agates et presque aussi transparentes. Le sire de Maulevrier voulait les empêcher de chanter, mais il ne put gagner cela sur elles.

Aussitôt qu’elles avaient prononcé quelques mesures, une petite tache rouge se dessinait sur leurs pommettes, et s’élargissait jusqu’à ce qu’elles eussent fini ; alors la tache disparaissait, mais une sueur froide coulait de leur peau, leurs lèvres tremblaient comme si elles eussent eu la fièvre.

Au reste, leur chant était plus beau que jamais ; il avait quelque chose qui n’était pas de ce monde, et, à entendre cette voix sonore et puissante sortir de ces deux frêles jeunes filles, il n’était pas difficile de prévoir ce qui arriverait, que la musique briserait l’instrument.

Elles le comprirent elles-mêmes, et se mirent à toucher leur virginal, qu’elles avaient abandonné pour la vocalisation. Mais, une nuit, la fenêtre était ouverte, les oiseaux gazouillaient dans le parc, la brise soupirait harmonieusement ; il y avait tant de musique dans l’air, qu’elles ne purent résister à la tentation d’exécuter un duo qu’elles avaient composé la veille.