Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/306

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trop rassuré dans une pareille circonstance, et je n’étais ni vieux ni militaire. J’attendis en silence la fin de l’aventure.

Une petite voix flûtée et perlée résonna doucement à mon oreille, avec ce grasseyement mignard affecté sous la Régence par les marquises et les gens du bon ton :

« Est-ce que je te fais peur, mon enfant ? Il est vrai que tu n’es qu’un enfant ; mais cela n’est pas joli d’avoir peur des dames, surtout de celles qui sont jeunes et te veulent du bien ; cela n’est ni honnête ni français ; il faut te corriger de ces craintes-là. Allons, petit sauvage, quitte cette mine et ne te cache pas la tête sous les couvertures. Il y aura beaucoup à faire à ton éducation, et tu n’es guère avancé, mon beau page ; de mon temps les Chérubins étaient plus délibérés que tu ne l’es.

— Mais, dame, c’est que…

— C’est que cela te semble étrange de me voir ici et non là, dit-elle en pinçant légèrement sa lèvre rouge avec ses dents blanches, et en étendant vers la muraille son doigt long et effilé. En effet, la chose n’est pas trop naturelle ; mais, quand je te l’expliquerais, tu ne la comprendrais guère mieux : qu’il te suffise donc de savoir que tu ne cours aucun danger.

— Je crains que vous ne soyez le… le…

— Le diable, tranchons le mot, n’est-ce pas ? c’est cela que tu voulais dire ; au moins tu con-