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poètes, je suis devenue presque savante. — Le voile m’est tombé des yeux. J’ai deviné bien des choses que je n’aurais jamais soupçonnées. Ainsi j’ai pu lire clairement dans votre cœur. — Vous avez dessiné autrefois, reprenez vos pinceaux. Vous fixerez vos rêves sur la toile, et toutes ces grandes agitations se calmeront d’elles-mêmes. Si je ne puis être votre maîtresse, je serai du moins votre modèle. »

Elle sonna et dit au domestique d’apporter un chevalet, une toile, des couleurs et des brosses.

Quand le domestique eut tout préparé, la chaste fille fit tomber ses vêtements avec une impudeur sublime, et, relevant ses cheveux comme Aphrodite sortant de la mer, elle se tint debout sous le rayon lumineux.

« Ne suis-je pas aussi belle que votre Vénus de Milo ? » dit-elle avec une petite moue délicieuse.

Au bout de deux heures la tête vivait déjà et sortait à demi de la toile : en huit jours tout fut terminé. Ce n’était pas cependant un tableau parfait ; mais un sentiment exquis d’élégance et de pureté, une grande douceur de tons et la noble simplicité de l’arrangement le rendaient remarquable, surtout pour les connaisseurs. — Cette svelte figure blanche et blonde se détachant sans effort sur le double azur du ciel et de la mer, et se présentant au monde souriante et nue, avait un reflet de poésie antique et fai-