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instant être aimée de vous, tandis que je n’étais qu’une doublure, une contre-épreuve de votre passion ! Je sais bien qu’à vos yeux je ne suis qu’une petite fille ignorante qui parle français avec un accent allemand qui vous fait rire ; ma figure vous plaît comme souvenir de votre maîtresse idéale : vous voyez en moi un joli mannequin que vous drapez à votre fantaisie ; mais, je vous le dis, le mannequin souffre et vous aime… »

Tiburce essaya de l’attirer sur son cœur, mais elle se dégagea et continua :

« Vous m’avez tenu de ravissants propos d’amour, vous m’avez appris que j’étais belle et charmante à voir, vous avez loué mes mains et prétendu qu’une fée n’en avait pas de plus mignonnes, vous avez dit de mes cheveux qu’ils valaient mieux que le manteau d’or d’une princesse, et de mes yeux que les anges descendaient du ciel pour s’y mirer, et qu’ils y restaient si longtemps qu’ils s’attardaient et se faisaient gronder par le bon Dieu ; et tout cela avec une voix douce et pénétrante, un accent de vérité à tromper de plus expérimentées : — Hélas ! ma ressemblance avec la Madeleine du tableau vous allumait l’imagination et vous prêtait cette éloquence factice ; elle vous répondait par ma bouche ; je lui prêtais la vie qui lui manque, et je servais à compléter votre illusion. Si je vous ai donné quelques moments de bonheur, je vous