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pour la faire servir de mannequin à votre fantaisie. Pour mériter tant d’amour, vous avez lancé quelques œillades, donné quelques bouquets et débité d’un ton chaleureux des lieux communs de roman. — Un mieux aimant eût échoué peut-être ; car, hélas ! pour inspirer de l’amour, il faut n’en pas ressentir soi-même. — Vous avez de sang-froid troublé à tout jamais la limpidité de cette modeste existence. — En vérité, maître Tiburce, adorateur du blond et contempteur du bourgeois, vous avez fait là une méchante action ; nous sommes fâché de vous le dire.

Gretchen n’était pas heureuse ; elle devinait entre elle et son amant une rivale invisible, la jalousie la prit : elle épia les démarches de Tiburce, et vit qu’il n’allait qu’à son hôtel des Armes du Brabant et à la cathédrale sur la place de Meïr. — Elle se rassura.

« Qu’avez-vous donc, lui dit-elle une fois, à regarder toujours la figure de la sainte Madeleine qui soutient le corps du Sauveur dans le tableau de la Descente de croix ?

— C’est qu’elle te ressemble, » avait répondu Tiburce.

Gretchen rougit de plaisir et courut à la glace vérifier la justesse de ce rapprochement ; elle reconnut qu’elle avait les yeux onctueux et lustrés, les cheveux blonds, le front bombé, toute la coupe de figure de la sainte.

« C’est donc pour cela que vous m’appelez