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ment ses chers œillets avaient passé la nuit, et s’était enveloppée à la hâte du premier vêtement venu ; ce gracieux et pudique désordre lui allait à merveille, et, si l’idée d’une déesse peut s’accorder avec un petit bonnet de toile de Flandre enjolivé de malines et un peignoir de basin blanc, nous vous dirons qu’elle avait l’air de l’Aurore entr’ouvrant les portes de l’Orient ; — cette comparaison est peut-être un peu trop majestueuse pour une ouvrière en dentelle qui va arroser un jardin contenu dans deux pots de faïence ; mais à coup sûr l’Aurore était moins fraîche et moins vermeille, — surtout l’Aurore de Flandre, qui a toujours les yeux un peu battus.

Gretchen, armée d’une grande carafe, se préparait à arroser ses œillets, et il ne s’en fallut pas de beaucoup pour que la chaleureuse déclaration de Tiburce ne fût noyée sous un moral déluge d’eau froide ; heureusement la blancheur du papier frappa Gretchen, qui déplanta la lettre et fut bien surprise lorsqu’elle en eut vu le contenu. Il n’y avait que deux phrases, l’une en français, l’autre en allemand ; la phrase française était composée de deux mots : — Je t’aime ; la phrase allemande de trois : Ich dich liebe, — ce qui veut dire exactement la même chose. Tiburce avait pensé au cas où Gretchen n’entendrait que sa langue maternelle ; c’était, comme vous voyez, un homme d’une prudence parfaite !