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des poissons rouges et d’autres menus animaux d’une innocence parfaite, dont le jaloux le plus féroce ne pourrait s’inquiéter. Tous les dimanches, elle va entendre la grand’messe à l’église des Jésuites, modestement enveloppée dans sa faille et suivie de Barbara qui porte son livre, puis elle revient et feuillette une Bible « où l’on voit Dieu le Père en habit d’empereur », et dont les images gravées sur bois font pour la millième fois son admiration. Si le temps est beau, elle va se promener du côté du fort de Lillo ou de la Tête de Flandre en compagnie d’une jeune fille de son âge, aussi ouvrière en dentelle : dans la semaine, elle ne sort guère que pour aller reporter son ouvrage ; encore Barbara se charge-t-elle la plupart du temps de cette commission. — Une fille de seize ans qui n’a jamais songé à l’amour serait improbable sous un climat plus chaud ; mais l’atmosphère de Flandre, alourdie par les fades exhalaisons des canaux, voiture très peu de parcelles aphrodisiaques : les fleurs y sont tardives et viennent grasses, épaisses, pulpeuses ; leurs parfums, chargés de moiteur, ressemblent à des odeurs d’infusions aromatiques ; les fruits sont aqueux ; la terre et le ciel, saturés d’humidité, se renvoient des vapeurs qu’ils ne peuvent absorber, et que le soleil essaie en vain de boire avec ses lèvres pâles ; — les femmes plongées dans ce bain de brouillard n’ont pas de peine à être vertueuses, car, selon