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pour sage qu’elle fût, s’était permis le luxe d’un miroir en cristal de Venise à biseau entouré d’un cadre d’ébène incrusté de cuivre. Il est vrai que, pour sanctifier ce meuble profane, un rameau de buis bénit était piqué dans la bordure.

Figurez-vous Gretchen assise dans le grand fauteuil de tapisserie, les pieds sur un tabouret brodé par elle-même, brouillant et débrouillant avec ses doigts de fée les imperceptibles réseaux d’une dentelle commencée ; sa jolie tête, penchée vers son ouvrage, est égayée en dessous par mille reflets folâtres qui argentent de teintes fraîches et vaporeuses l’ombre transparente qui la baigne ; une délicate fleur de jeunesse veloute la santé un peu hollandaise de ses joues dont le clair-obscur ne peut atténuer la fraîcheur ; la lumière, filtrée avec ménagement par les carreaux supérieurs, satine seulement le haut de son front, et fait briller comme des vrilles d’or les petits cheveux follets en rébellion contre la morsure du peigne. Faites courir un brusque filet de jour sur la corniche et sur le bahut, piquez une paillette sur le ventre des pots d’étain ; jaunissez un peu le christ, fouillez plus profondément les plis roides et droits des rideaux de serge, brunissez la pâleur modernement blafarde du vitrage, jetez au fond de la pièce la vieille Barbara armée de son balai, concentrez toute la clarté sur la tête, sur les mains de la jeune fille, et vous aurez une toile flamande du