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bien-aimé d’un suaire de tendresse, lui paraissait mortifiante pour lui et souverainement injuste. Il aurait voulu que le plus imperceptible mouvement lui donnât à entendre qu’elle était touchée de son amour ; il avait déjà oublié qu’il était devant une peinture, tant la passion est prompte à prêter son ardeur même aux objets incapables d’en ressentir. Pygmalion dut être étonné comme d’une chose fort surprenante que sa statue ne lui rendît pas caresse pour caresse ; Tiburce ne fut pas moins atterré de la froideur de son amante peinte.

Agenouillée dans sa robe de satin vert aux plis amples et puissants, elle continuait à contempler le Christ avec une expression de volupté douloureuse comme une maîtresse qui veut se rassasier des traits d’un visage adoré qu’elle ne doit plus revoir ; ses cheveux s’effilaient sur ses épaules en franges lumineuses ; — un rayon de soleil égaré par hasard rehaussait la chaude blancheur de son linge et de ses bras de marbre doré ; — sous la lueur vacillante, sa gorge semblait s’enfler et palpiter avec une apparence de vie ; les larmes de ses yeux fondaient et ruisselaient comme des larmes humaines.

Tiburce crut qu’elle allait se lever et descendre du tableau.

Tout à coup il se fit nuit : la vision s’éteignit.

Les Anglais s’étaient retirés après avoir dit : Very well, a pretty picture, et le bedeau, ennuyé