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bleaux et, ne s’en rapportant qu’à demi à l’érudition bavarde de leur cicerone, cherchaient dans leur Guide du voyageur les noms des maîtres, de peur d’admirer une chose pour l’autre, et répétaient à chaque toile, avec un flegme imperturbable : It is a very fine exhibition. — Ces Anglais avaient des figures carrées, et la distance prodigieuse qui existait de leur nez à leur menton montrait la pureté de leur race. Quant à l’Anglaise qui était avec eux, c’était celle que Tiburce avait déjà vue près de la résidence de Laeken ; elle portait les mêmes brodequins verts et les mêmes cheveux rouges. Tiburce, désespérant du blond de la Flandre, fut presque sur le point de lui décocher une œillade assassine ; mais les couplets de vaudeville contre la perfide Albion lui revinrent à la mémoire fort à propos.

En l’honneur de cette compagnie, si évidemment britannique, qui ne se remuait qu’avec un cliquetis de guinées, le bedeau ouvrit les volets qui cachent les trois quarts de l’année les deux miraculeuses peintures de Rubens : le Crucifiement et la Descente de croix.

Le Crucifiement est une œuvre à part, et, lorsqu’il le peignit, Rubens rêvait de Michel-Ange. Le dessin est âpre, sauvage, violent comme celui de l’école romaine ; tous les muscles ressortent à la fois, tous les os et tous les cartilages paraissent, des nerfs d’acier soulèvent des chairs de granit. — Ce n’est plus là le vermillon joyeux