Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fum, il cherchait l’élégance du vase ; il ne se plaignait pas, il ne faisait pas d’élégies, il ne portait pas ses manchettes en pleureuse, mais l’on voyait bien qu’il avait souffert autrefois, qu’il avait été trompé et qu’il ne voulait plus aimer qu’à bon escient. Comme la dissimulation du corps est bien plus difficile que celle de l’âme, il s’en tenait à la perfection matérielle ; mais, hélas ! un beau corps est aussi rare qu’une belle âme. D’ailleurs Tiburce, dépravé par les rêveries des romanciers, vivant dans la société idéale et charmante créée par les poètes, l’œil plein des chefs-d’œuvre de la statuaire et de la peinture, avait le goût dédaigneux et superbe, et ce qu’il prenait pour de l’amour n’était que de l’admiration d’artiste. — Il trouvait des fautes de dessin dans sa maîtresse ; — sans qu’il s’en doutât, la femme n’était pour lui qu’un modèle.

Un jour, ayant fumé son hooka, regardé la triple Léda du Corrège dans son cadre à filets, retourné en tous sens la dernière figurine de Pradier, pris son pied gauche dans sa main droite et son pied droit dans sa main gauche, posé ses talons sur le bord de la cheminée, Tiburce, au bout de ses moyens de distraction, fut obligé de convenir vis-à-vis de lui-même qu’il ne savait que devenir, et que les grises araignées de l’ennui descendaient le long des murailles de sa chambre toute poudreuse de somnolence.