Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/227

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

liarité des chefs-d’œuvre de l’art, la lecture des poètes, l’avaient rendu d’une exquise délicatesse en matière de formes, et il lui eût été impossible d’aimer la plus belle âme du monde, à moins qu’elle n’eût les épaules de la Vénus de Milo. — Aussi Tiburce n’était-il amoureux de personne.

Cette préoccupation de la beauté se trahissait par la quantité de statuettes, de plâtres moulés, de dessins et de gravures qui encombraient et tapissaient sa chambre, qu’un bourgeois eût trouvée une habitation peu vraisemblable ; car il n’avait d’autres meubles que le divan cité plus haut et quelques carreaux de diverses couleurs épars sur le tapis. N’ayant pas de secrets, il se passait facilement de secrétaire, et l’incommodité des commodes était un fait démontré pour lui.

Tiburce allait rarement dans le monde, non par sauvagerie, mais par nonchalance ; il accueillait très bien ses amis et ne leur rendait jamais de visite. — Tiburce était-il heureux ? non, mais il n’était pas malheureux ; seulement, il aurait bien voulu pouvoir s’habiller de rouge. Les gens superficiels l’accusaient d’insensibilité, et les femmes entretenues ne lui trouvaient pas d’âme, mais au fond c’était un cœur d’or, et sa recherche de la beauté physique trahissait aux yeux attentifs d’amères déceptions dans le monde de la beauté morale. – À défaut de la suavité du par-