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ment Fortunio, comme s’il eût dit la chose la plus naturelle du monde.

― Comment ! c’est vous qui avez brûlé ma maison ? dit Musidora.

― Le feu ne s’y serait pas mis tout seul, c’est une réflexion profonde que j’avais faite ; alors je l’y ai mis moi-même.

― Êtes-vous fou, Fortunio, ou voulez-vous vous jouer de moi ?

― Point du tout ; est-ce que j’ai dit quelque chose de déraisonnable ? ― L’architecture de ta bicoque était d’ordre dorique, ce qui m’est spécialement odieux ; et puis…

― Et puis quoi ? Voilà un beau motif pour incendier peut-être tout un quartier, dit Musidora, voyant que Fortunio s’était arrêté au milieu de sa phrase.

― Et puis… reprit Fortunio, dont le teint avait pris une nuance verdâtre et dont les yeux s’allumaient, je ne voulais plus te voir dans cette maison qui t’avait été donnée par un autre, où d’autres t’avaient possédée. Cela me faisait horreur ; j’en haïssais chaque fauteuil, chaque meuble, comme un ennemi mortel ; j’y voyais un baiser ou une caresse. J’aurais poignardé ton sofa comme un homme. ― Tes robes, tes bagues, tes bijoux me produisaient la sensation froide et venimeuse que produit au toucher la peau d’un serpent ; tout me rappelait chez toi des idées que j’aurais voulu chasser sans retour,