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femmes qu’il avait eues depuis son arrivée en France : il l’allait voir presque tous les jours et toutes les nuits, et passait quelquefois des semaines entières sans la quitter. ― Le sultan Fortunio avait pris des façons d’Amadis ; on n’eût pas montré à une princesse des adorations plus ferventes et des respects plus humbles. Cependant il lui prenait quelquefois des retours de férocité asiatique très prononcés ; les griffes du tigre sortaient, acérées et menaçantes, du velours de ses pattes.

Une nuit qu’il était couché à côté d’elle, je ne sais quelle idée saugrenue lui passa par là cervelle ; il se leva, s’habilla, prit la lampe, qu’il approcha des franges de rideaux, et y mit le feu avec un grand sang-froid, puis il entra dans la pièce voisine, et fit la même opération.

Les larges langues de la flamme noircissaient déjà le plafond ; cette éblouissante clarté pénétra à travers les yeux assoupis de Musidora ; elle se réveilla, et, voyant la chambre pleine de flammes et de fumée, elle poussa un cri d’effroi.

« Fortunio, Fortunio, cria-t-elle, sauvez-moi ! »

Fortunio était debout, appuyé fort tranquillement contre la cheminée, et regardait les progrès de l’incendie d’un air de satisfaction.

« J’étouffe ! dit Musidora en se jetant à bas du lit et en courant vers la porte ; mais que faites-vous donc, Fortunio, et pourquoi n’appelez-vous pas au secours ?