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perdre son blason, sa femme, sa fortune, et de se voir réduit à une chétive existence bourgeoise. Oh ! je la déchirerai, pour en sortir, cette peau de Nessus qui s’attache à mon moi, et je ne la rendrai qu’en pièces à son premier possesseur. Si je retournais à l’hôtel ? car je n’ai plus de vigueur dans cette robe de chambre de malade ; voyons, cherchons, car il faut que je sache un peu la vie de cet Octave de Saville qui est moi maintenant. » Et il essaya d’ouvrir le portefeuille. Le ressort touché par hasard céda, et le comte tira, des poches de cuir, d’abord plusieurs papiers, noircis d’une écriture serrée et fine, ensuite un carré de vélin ; ― sur le carré de vélin une main peu habile, mais fidèle, avait dessiné, avec la mémoire du cœur et la ressemblance que n’atteignent pas toujours les grands artistes, un portrait au crayon de la comtesse Prascovie Labinska, qu’il était impossible de ne pas reconnaître du premier coup d’œil.

Le comte demeura stupéfait de cette découverte. À la surprise succéda un furieux mouvement de jalousie ; comment le portrait de la comtesse se trouvait-il dans le portefeuille secret de ce jeune homme inconnu, d’où lui venait-il, qui l’avait fait, qui l’avait donné ? Cette Prascovie si religieusement adorée serait-elle descendue de son ciel d’amour dans une intrigue vulgaire ?