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quement sur le seuil de la porte entre-bâillée, comme une de ces statues en bronze qui, dans les contes arabes, défendent aux chevaliers errants l’accès des châteaux enchantés.

― Ivre ou fou vous-même, mon petit monsieur, répliqua le suisse, qui, de cramoisi qu’il était naturellement, devint bleu de colère.

― Misérable ! rugit Olaf-de Saville, si je ne me respectais…

― Taisez-vous ou je vais vous casser sur mon genou et jeter vos morceaux sur le trottoir, répliqua le géant en ouvrant une main plus large et plus grande que la colossale main de plâtre exposée chez le gantier de la rue Richelieu ; il ne faut pas faire le méchant avec moi, mon petit jeune homme, parce qu’on a bu une ou deux bouteilles de vin de Champagne de trop. »

Olaf-de Saville, exaspéré, repoussa le suisse si rudement, qu’il pénétra sous le porche. Quelques valets qui n’étaient pas couchés encore accoururent au bruit de l’altercation.

« Je te chasse, bête brute, brigand, scélérat ! je ne veux pas même que tu passes la nuit à l’hôtel ; sauve-toi, ou je te tue comme un chien enragé. Ne me fais pas verser l’ignoble sang d’un laquais. »

Et le comte, dépossédé de son corps, s’élançait les yeux injectés de rouge, l’écume aux lèvres, les poings crispés, vers l’énorme suisse, qui, rassemblant les deux mains de son agres-