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l’homme, inférieur au lézard en cela, n’a pas une sève assez puissante pour reformer les membres qu’on lui retranche. Mais si je ne crée pas, en revanche je rajeunis. » Et il enleva le voile qui recouvrait une femme âgée magnétiquement endormie sur un fauteuil, non loin de la table de marbre noir ; ses traits, qui avaient pu être beaux, étaient flétris, et les ravages du temps se lisaient sur les contours amaigris de ses bras, de ses épaules et de sa poitrine. Le docteur fixa sur elle pendant quelques minutes, avec une intensité opiniâtre, les regards de ses prunelles bleues ; les lignes altérées se raffermirent, le galbe du sein reprit sa pureté virginale, une chair blanche et satinée remplit les maigreurs du col ; les joues s’arrondirent et se veloutèrent, comme des pêches, de toute la fraîcheur de la jeunesse ; les yeux s’ouvrirent scintillants dans un fluide vivace ; le masque de vieillesse, enlevé comme par magie, laissait voir la belle jeune femme disparue depuis longtemps.

« Croyez-vous que la fontaine de Jouvence ait versé quelque part ses eaux miraculeuses ? dit le docteur au comte stupéfait de cette transformation. Je le crois, moi, car l’homme n’invente rien, et chacun de ses rêves est une divination ou un souvenir. ― Mais abandonnons cette forme un instant repétrie par ma volonté, et consultons cette jeune fille qui dort tranquillement dans ce coin. Interrogez-la, elle en sait