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de terre. Autrement il disait qu’on ne devait pas contrarier la nature, que certaines morts avaient leur raison d’être, et qu’on risquait, en les empêchant, de déranger quelque chose dans l’ordre universel. Vous voyez bien que M. Balthazar Cherbonneau était le docteur le plus paradoxal du monde, et qu’il avait rapporté de l’Inde une excentricité complète ; mais sa renommée de magnétiseur l’emportait encore sur sa gloire de médecin ; il avait donné devant un petit nombre d’élus quelques séances dont on racontait des merveilles à troubler toutes les notions du possible ou de l’impossible, et qui dépassaient les prodiges de Cagliostro.

Le docteur habitait le rez-de-chaussée d’un vieil hôtel de la rue du Regard, un appartement en enfilade comme on les faisait jadis, et dont les hautes fenêtres ouvraient sur un jardin planté de grands arbres au tronc noir, au grêle feuillage vert. Quoiqu’on fût en été, de puissants calorifères soufflaient par leurs bouches grillées de laiton des trombes d’air brûlant dans les vastes salles, et en maintenaient la température à trente-cinq ou quarante degrés de chaleur, car M. Balthazar Cherbonneau, habitué au climat incendiaire de l’Inde, grelottait à nos pâles soleils, comme ce voyageur qui, revenu des sources du Nil Bleu, dans l’Afrique centrale, tremblait de froid au Caire, et il ne sortait jamais qu’en voiture fermée, frileusement emmailloté d’une