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qu’il était trop tôt, et qu’il désirait jouir encore quelque temps de sa liberté. Il refusa successivement Hon-Giu, Lo-Men-Gli, Oma, Po-Fo et autres jeunes personnes fort distinguées. Jamais, sans excepter le beau Fan-Gan, dont les dames remplissaient la voiture d’oranges et de sucreries, lorsqu’il revenait de tirer de l’arc, jeune homme ne fut plus choyé et ne reçut plus d’avances ; mais son cœur paraissait insensible à l’amour, non par froideur, car à mille détails on pouvait deviner que Tchin-Sing avait l’âme tendre : on eût dit qu’il se souvenait d’une image connue dans son existence antérieure et qu’il espérait retrouver dans celle-ci. On avait beau lui vanter les sourcils de feuille de saule, les pieds imperceptibles et la taille de libellule des beautés qu’on lui proposait, il écoutait d’un air distrait et comme pensant à tout autre chose.

De son côté, Ju-Kiouan ne se montrait pas moins difficile : elle éconduisait tous les prétendants. Celui-ci saluait sans grâce, celui-là n’était pas soigneux sur ses habits ; l’un avait une écriture lourde et commune, l’autre ne savait pas le livre des vers, ou s’était trompé sur la rime ; bref, ils avaient tous un défaut quelconque. Ju-Kiouan en traçait des portraits si comiques, que ses parents finissaient par en rire eux-mêmes, et mettaient à la porte, le plus poliment du monde, le pauvre aspirant qui croyait déjà poser le pied sur le seuil du pavillon oriental.