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Les papillons qu’elle brodait sur le satin semblaient vivre et battre des ailes ; vous eussiez juré entendre le chant des oiseaux qu’elle fixait au canevas ; plus d’un nez abusé se colla sur ses tapisseries pour respirer le parfum des fleurs qu’elle y semait. Les talents de Ju-Kiouan ne se bornaient pas là : elle savait par cœur le livre des Odes et les cinq règles de conduite ; jamais main plus légère ne jeta sur le papier de soie des caractères plus hardis et plus nets. Les dragons ne sont pas plus rapides dans leur vol que son poignet lorsqu’il faisait pleuvoir la pluie noire du pinceau. Elle connaissait tous les modes de poésies, le Tardif, le Hâté, l’Élevé et le Rentrant, et composait des pièces pleines de mérite sur les sujets qui doivent naturellement frapper une jeune fille, sur le retour des hirondelles, les saules printaniers, les reines-marguerites et autres objets analogues. Plus d’un lettré qui se croit digne d’enfourcher le cheval d’or n’eût pas improvisé avec autant de facilité.

Tchin-Sing n’avait pas moins profité de ses études, son nom se trouvait être des premiers sur la liste des examens. Quoiqu’il fût bien jeune, il eût pu se coiffer du bonnet noir, et déjà toutes les mères pensaient qu’un garçon si avancé dans les sciences ferait un excellent gendre et parviendrait bientôt aux plus hautes dignités littéraires ; mais Tchin-Sing répondait d’un air enjoué aux négociateurs qu’on lui envoyait,