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Peu à peu les deux amis s’étaient pris d’animosité l’un contre l’autre. Ils ne pouvaient plus se parler sans s’égratigner de paroles piquantes, et ils étaient, comme deux haies de ronces, hérissés d’épines et de griffes. Les choses en vinrent au point qu’ils n’eurent plus aucun rapport ensemble et firent pendre, chacun de son côté, à la façade de leurs maisons, une tablette portant la défense formelle qu’aucun des habitants du logis voisin, sous quelque prétexte que ce fût, en franchît jamais le seuil.

Ils auraient bien voulu pouvoir déraciner leurs maisons et les planter ailleurs ; malheureusement cela n’était pas possible. Tou essaya même de vendre sa propriété ; mais il n’en put trouver un prix raisonnable, et d’ailleurs il en coûte toujours de quitter les lambris sculptés, les tables polies, les fenêtres transparentes, les treillis dorés, les sièges de bambou, les vases de porcelaine, les cabinets de laque rouge ou noire, les cartouches d’anciens poèmes, qu’on a pris tant de peine à disposer ; il est dur de céder à d’autres le jardin qu’on a planté soi-même de saules, de pêchers et de pruniers, où l’on a vu, chaque printemps, s’épanouir la jolie fleur de meï : chacun de ces objets attache le cœur de l’homme avec un fil plus ténu que la soie, mais aussi difficile à rompre qu’une chaîne de fer.

À l’époque où Tou et Kouan étaient amis, ils avaient fait élever dans leur jardin chacun