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Tou et Kouan, que reliait une parenté éloignée, s’étaient aimés autrefois. Plus jeunes, ils se plaisaient à se réunir avec quelques-uns de leurs anciens condisciples, et, pendant les soirées d’automne, ils faisaient voltiger le pinceau chargé de noir sur le treillis du papier à fleurs, et célébraient par des improvisations la beauté des reines-marguerites tout en buvant de petites tasses de vin ; mais leurs deux caractères, qui ne présentaient d’abord que des différences presque insensibles, devinrent, avec le temps, tout à fait opposés. Telle une branche d’amandier qui se bifurque et dont les baguettes, rapprochées par le bas, s’écartent complétement au sommet, de sorte que l’une répand son parfum amer dans le jardin, tandis que l’autre secoue sa neige de fleurs en dehors de la muraille.

D’année en année, Tou prenait de la gravité ; son ventre s’arrondissait majestueusement, son triple menton s’étageait d’un air solennel, il ne faisait plus que des distiques moraux bons à suspendre aux poteaux des pavillons.

Kouan, au contraire, semblait se ragaillardir avec l’âge, il chantait plus joyeusement que jamais le vin, les fleurs et les hirondelles. Son esprit, débarrassé de soins vulgaires, était vif et alerte comme celui d’un jeune homme, et quand le mot qu’il fallait enchâsser dans un vers avait été donné, sa main n’hésitait pas un seul instant.