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d’Alep, si ses vaisseaux étaient arrivés au port sans avaries ; bref, il fit toutes les lâchetés habituelles aux amoureux ; il espérait toujours voir paraître Ayesha ; mais il fut trompé dans son attente ; elle ne vint pas ce jour-là. Il s’en retourna chez lui, le cœur gros, l’appelant déjà cruelle et perfide, comme si effectivement elle lui eût promis de se trouver chez Bedredin et qu’elle lui eût manqué de parole.

En rentrant dans sa chambre, il mit ses babouches dans la niche de marbre sculpté, creusée à côté de la porte pour cet usage ; il ôta le caftan d’étoffe précieuse qu’il avait endossé dans l’idée de rehausser sa bonne mine et de paraître avec tous ses avantages aux yeux d’Ayesha, et s’étendit sur son divan dans un affaissement voisin du désespoir. Il lui semblait que tout était perdu, que le monde allait finir, et il se plaignait amèrement de la fatalité ; le tout, pour ne pas avoir rencontré, ainsi qu’il l’espérait, une femme qu’il ne connaissait pas deux jours auparavant.

Comme il avait fermé les yeux de son corps pour mieux voir le rêve de son âme, il sentit un vent léger lui rafraîchir le front ; il souleva ses paupières et vit, assise à côté de lui, par terre, Leila qui agitait un de ces petits pavillons d’écorce de palmier qui servent, en Orient, d’éventail et de chasse-mouche. Il l’avait complètement oubliée.