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aux ailes flasques, membraneuses, armées d’ongles comme celles des chauves-souris, et, tirant de sa poche son coboloio de graines d’aloès jaspées, il se mit à réciter, comme préservatif, les quatre-vingt-dix-neuf noms d’Allah. Il n’était pas au vingtième, qu’il s’arrêta. Ce n’était pas une péri, un être surnaturel qui fuyait ainsi en sautant d’une terrasse à l’autre et en franchissant les rues de quatre ou cinq pieds de large qui coupent le bloc compact des villes orientales, mais bien une femme ; les djinns n’étaient que des zebecs, des chiaoux et des eunuques acharnés à sa poursuite.

Deux ou trois terrasses et une rue séparaient encore la fugitive de la plate-forme où se tenait Mahmoud-Ben-Ahmed, mais ses forces semblaient la trahir ; elle retourna convulsivement la tête sur l’épaule, et, comme un cheval épuisé dont l’éperon ouvre le flanc, voyant si près d’elle le groupe hideux qui la poursuivait, elle mit la rue entre elle et ses ennemis d’un bond désespéré.

Elle frôla dans son élan Mahmoud-Ben-Ahmed qu’elle n’aperçut pas, car la lune s’était voilée, et courut à l’extrémité de la terrasse qui donnait de ce côté-là sur une seconde rue plus large que la première. Désespérant de la pouvoir sauter, elle eut l’air de chercher des yeux quelque coin où se blottir, et, avisant un grand vase de marbre, elle se cacha dedans comme le génie qui rentre dans la coupe d’un lis.