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sence d’un être vivant : le seul bruit appréciable était celui que faisait la fumée du narghilé de Mahmoud-Ben-Ahmed en traversant la boule de cristal de roche remplie d’eau destinée à refroidir ses blanches bouffées. Tout d’un coup, un cri aigu éclata au milieu de ce calme, un cri de détresse suprême, comme doit en pousser, au bord de la source, l’antilope qui sent se poser sur son cou la griffe d’un lion ou s’engloutir sa tête dans la gueule d’un crocodile. Mahmoud-Ben-Ahmed, effrayé par ce cri d’agonie et de désespoir, se leva d’un seul bond et posa instinctivement la main sur le pommeau de son yatagan dont il fit jouer la lame pour s’assurer qu’elle ne tenait pas au fourreau ; puis il se pencha du côté d’où le bruit avait semblé partir.

Il démêla fort loin dans l’ombre un groupe étrange, mystérieux, composé d’une figure blanche poursuivie par une meute de figures noires, bizarres et monstrueuses, aux gestes frénétiques, aux allures désordonnées. L’ombre blanche semblait voltiger sur la cime des maisons, et l’intervalle qui la séparait de ses persécuteurs était si peu considérable, qu’il était à craindre qu’elle ne fût bientôt prise si sa course se prolongeait, et qu’aucun événement ne vînt à son secours. Mahmoud-Ben-Ahmed crut d’abord que c’était une péri ayant aux trousses un essaim de goules mâchant de la chair de mort dans leurs incisives démesurées, ou de djinns