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tête vers la cheminée sur laquelle devaient brûler encore les bougies ; il ne vit que des ténèbres denses, impénétrables, où ne tremblaient même pas ces vagues lueurs que les voyants perçoivent encore, les paupières fermées, lorsqu’ils sont en face d’une lumière. — Le sacrifice était consommé !

« Maintenant, dit Paul, noble et charmante créature, je pourrai devenir ton mari sans être un assassin. Tu ne dépériras plus héroïquement sous mon regard funeste : tu reprendras ta belle santé ; hélas ! je ne t’apercevrai plus, mais ton image céleste rayonnera d’un éclat immortel dans mon souvenir ; je te verrai avec l’œil de l’âme, j’entendrai ta voix plus harmonieuse que la plus suave musique, je sentirai l’air déplacé par tes mouvements, je saisirai le frisson soyeux de ta robe, l’imperceptible craquement de ton brodequin, j’aspirerai le parfum léger qui émane de toi et te fait comme une atmosphère. Quelquefois tu laisseras ta main entre les miennes pour me convaincre de ta présence, tu daigneras guider ton pauvre aveugle lorsque son pied hésitera sur son chemin obscur ; tu lui liras les poètes, tu lui raconteras les tableaux et les statues. Par ta parole, tu lui rendras l’univers évanoui ; tu seras sa seule pensée, son seul rêve ; privé de la distraction des choses et de l’éblouissement de la lumière, son âme volera vers toi d’une aile infatigable !