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manière à faire soutenir son menton par son genou, il s’établit dans cette position impossible pour tout autre, mais qui semblait spécialement commode pour lui.

« Je ne veux pas vous ennuyer du détail de mon martyre secret, continua Octave ; j’arrive à une scène décisive. Un jour, ne pouvant plus modérer mon impérieux désir de voir la comtesse, je devançai l’heure de ma visite accoutumée ; il faisait un temps orageux et lourd. Je ne trouvai pas Mme Labinska au salon. Elle s’était établie sous un portique soutenu de sveltes colonnes, ouvrant sur une terrasse par laquelle on descendait au jardin ; elle avait fait apporter là son piano, un canapé et des chaises de jonc ; des jardinières, comblées de fleurs splendides, ― nulle part elles ne sont si fraîches ni si odorantes qu’à Florence, ― remplissaient les entre-colonnements et imprégnaient de leur parfum les rares bouffées de brise qui venaient de l’Apennin. Devant soi, par l’ouverture des arcades, l’on apercevait les ifs et les buis taillés du jardin, d’où s’élançaient quelques cyprès centenaires, et que peuplaient des marbres mythologiques dans le goût tourmenté de Baccio Bandinelli ou de l’Ammanato. Au fond, au-dessus de la silhouette de Florence, s’arrondissait le dôme de Santa Maria del Fiore et jaillissait le beffroi carré du Palazzo Vecchio.

« La comtesse était seule, à demi couchée sur