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Elle mit sa main sur les yeux de Paul, mais les regards du jeune homme traversaient comme une flamme les doigts transparents et frêles d’Alicia.

« Maintenant mes yeux peuvent s’éteindre, je la verrai toujours dans mon cœur, » dit Paul en se relevant.

Le soir, après avoir assisté au coucher de soleil, — le dernier qu’il dût contempler, — M. d’Aspremont, en rentrant à l’hôtel de Rome, se fit apporter un réchaud et du charbon.

« Veut-il s’asphyxier ? dit en lui-même Virgilio Falsacappa en ramenant à Paddy ce qu’il lui demandait de la part de son maître ; c’est ce qu’il pourrait faire de mieux, ce maudit jettatore ! »

Le fiancé d’Alicia ouvrit la fenêtre, contrairement à la conjecture de Falsacappa, alluma les charbons, y plongea la lame d’un poignard et attendit que le fer devînt rouge.

La mince lame, parmi les braises incandescentes, arriva bientôt au rouge blanc ; Paul, comme pour prendre congé de lui-même, s’accouda sur la cheminée en face d’un grand miroir où se projetait la clarté d’un flambeau à plusieurs bougies ; il regarda cette espèce de spectre qui était lui, cette enveloppe de sa pensée qu’il ne devait plus apercevoir, avec une curiosité mélancolique : « Adieu, fantôme pâle que je promène depuis tant d’années à travers la vie, forme