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vit les regards de son fiancé l’envelopper d’une longue caresse. Elle crut que Paul avait enfin chassé ses funestes idées de jettature et lui revenait heureux et confiant comme aux premiers jours, et elle tendit à M. d’Aspremont, qui la garda, sa petite main pâle et fluette.

« Je ne vous fais donc plus peur ? dit-elle avec une douce moquerie à Paul qui tenait toujours les yeux fixés sur elle.

— Oh ! laissez-moi vous regarder, répondit M. d’Aspremont d’un ton de voix singulier en s’agenouillant près du canapé ; laissez-moi m’enivrer de cette beauté ineffable ! » et il contemplait avidement les cheveux lustrés et noirs d’Alicia, son beau front pur comme un marbre grec, ses yeux d’un bleu sombre comme l’azur d’une belle nuit, son nez d’une coupe si fine, sa bouche dont un sourire languissant montrait à demi les perles, son col de cygne onduleux et flexible, et semblait noter chaque trait, chaque détail, chaque perfection comme un peintre qui voudrait faire un portrait de mémoire ; il se rassasiait de l’aspect adoré, il se faisait une provision de souvenirs, arrêtant les profils, repassant les contours.

Sous ce regard ardent, Alicia, fascinée et charmée, éprouvait une sensation voluptueusement douloureuse, agréablement mortelle ; sa vie s’exaltait et s’évanouissait ; elle rougissait et pâlissait, devenait froide, puis brûlante. — Une minute de plus, et l’âme l’eût quittée.