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voiture, les yeux ouverts comme un somnambule et ne voyant rien. On eût dit une statue qui marchait. Quoiqu’il eût éprouvé à la vue du cadavre cette horreur religieuse qu’inspire la mort, il ne se sentait pas coupable, et le remords n’entrait pour rien dans son désespoir. Provoqué de manière à ne pouvoir refuser, il n’avait accepté ce duel qu’avec l’espérance d’y laisser une vie désormais odieuse. Doué d’un regard funeste, il avait voulu un combat aveugle pour que la fatalité seule fût responsable. Sa main même n’avait pas frappé ; son ennemi s’était enferré ! Il plaignait le comte Altavilla comme s’il eût été étranger à sa mort. « C’est mon stylet qui l’a tué, se disait-il, mais si je l’avais regardé dans un bal, un lustre se fût détaché du plafond et lui eût fendu la tête. Je suis innocent comme la foudre, comme l’avalanche, comme le mancenillier, comme toutes les forces destructives et inconscientes. Jamais ma volonté ne fut malfaisante, mon cœur n’est qu’amour et bienveillance, mais je sais que je suis nuisible. Le tonnerre ne sait pas qu’il tue ; moi, homme, créature intelligente, n’ai-je pas un devoir sévère à remplir vis-à-vis de moi-même ? Je dois me citer à mon propre tribunal et m’interroger. Puis-je rester sur cette terre où je ne cause que des malheurs ? Dieu me damnerait-il si je me tuais par amour pour mes semblables ? Question terrible et profonde que je n’ose résoudre ; il me