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fleur à la main, les cheveux noirs, les joues marbrées de rose, rien n’y manquait, — c’est bien la miniature agrandie, développée, se mouvant avec toute la réalité du rêve.

Une tendresse mêlée de terreur faisait palpiter le sein d’Alicia. Elle voulait tendre ses bras à l’ombre, mais ses bras, lourds comme du marbre, ne pouvaient se détacher de la couche sur laquelle ils reposaient. Elle essayait de parler, mais sa langue ne bégayait que des syllabes confuses.

Nancy, après avoir posé la rose-thé sur le guéridon, s’agenouilla près du lit et mit sa tête contre la poitrine d’Alicia, écoutant le souffle des poumons, comptant les battements du cœur ; la joue froide de l’ombre causait à la jeune fille, épouvantée de cette auscultation silencieuse, la sensation d’un morceau de glace.

L’apparition se releva, jeta un regard douloureux sur la jeune fille, et, comptant les feuilles de la rose dont quelques pétales encore s’étaient séparés, elle dit : « Il n’y en a plus qu’une. »

Puis le sommeil avait interposé sa gaze noire entre l’ombre et la dormeuse, et tout s’était confondu dans la nuit.

L’âme de sa mère venait-elle l’avertir et la chercher ? Que signifiait cette phrase mystérieuse tombée de la bouche de l’ombre : — « Il n’y en a plus qu’une ? » Cette pâle rose effeuillée était-elle le symbole de sa vie ? Ce rêve étrange avec ses terreurs gracieuses et son charme ef-