Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/268

Cette page a été validée par deux contributeurs.

raître. — Après deux ou trois minutes d’attente anxieuse, elle avait vu se dessiner sur le fond sombre qu’encadrait le chambranle de la porte une forme svelte et blanche, qui, d’abord transparente et laissant, comme un léger brouillard, apercevoir les objets à travers elle, avait pris plus de consistance en avançant vers le lit.

L’ombre était vêtue d’une robe de mousseline dont les plis traînaient à terre ; de longues spirales de cheveux noirs, à moitié détordues, pleuraient le long de son visage pâle, marqué de deux petites taches roses aux pommettes ; la chair du col et de la poitrine était si blanche qu’elle se confondait avec la robe, et qu’on n’eût pu dire où finissait la peau et où commençait l’étoffe ; un imperceptible jaseron de Venise cerclait le col mince d’une étroite ligne d’or ; la main fluette et veinée de bleu tenait une fleur — une rose-thé — dont les pétales se détachaient et tombaient à terre comme des larmes.

Alicia ne connaissait pas sa mère, morte un an après lui avoir donné le jour ; mais bien souvent elle s’était tenue en contemplation devant une miniature dont les couleurs presque évanouies, montrant le ton jaune d’ivoire, et pâles comme le souvenir des morts, faisaient songer au portrait d’une ombre plutôt qu’à celui d’une vivante, et elle comprit que cette femme qui entrait ainsi dans la chambre était Nancy Ward, — sa mère. — La robe blanche, le jaseron, la