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rents qui devaient lui donner la plus pauvre idée de mon intelligence ; quelquefois même un imperceptible sourire d’une ironie amicale passait comme une lueur rose sur ses lèvres charmantes à certaines phrases, qui dénotaient, de ma part, un trouble profond ou une incurable sottise.

« Je ne lui avais encore rien dit de mon amour ; devant elle j’étais sans pensée, sans force, sans courage ; mon cœur battait comme s’il voulait sortir de ma poitrine et s’élancer sur les genoux de sa souveraine. Vingt fois j’avais résolu de m’expliquer, mais une insurmontable timidité me retenait ; le moindre air froid ou réservé de la comtesse me causait des transes mortelles, et comparables à celles du condamné qui, la tête sur le billot, attend que l’éclair de la hache lui traverse le cou. Des contractions nerveuses m’étranglaient, des sueurs glacées baignaient mon corps. Je rougissais, je pâlissais et je sortais sans avoir rien dit, ayant peine à trouver la porte et chancelant comme un homme ivre sur les marches du perron.

« Lorsque j’étais dehors, mes facultés me revenaient et je lançais au vent les dithyrambes les plus enflammés. J’adressais à l’idole absente mille déclarations d’une éloquence irrésistible. J’égalais dans ces apostrophes muettes les grands poètes de l’amour. ― Le Cantique des Cantiques de Salomon avec son vertigineux parfum oriental et son lyrisme halluciné de haschisch, les son-