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rester sur terre : il semble qu’un souffle les soulève et que des ailes invisibles palpitent à leurs épaules ; c’est trop blanc, trop rose, trop pur, trop parfait ; il manque à ces corps éthérés le sang rouge et grossier de la vie. Dieu, qui les prête au monde pour quelques jours, se hâte de les reprendre. Cet éclat suprême m’attriste comme un adieu.

— Eh bien, mon oncle, puisque je suis si jolie, reprit miss Ward, qui voyait le front du commodore s’assombrir, c’est le moment de me marier : le voile et la couronne m’iront bien.

— Vous marier ! êtes-vous donc si pressée de quitter votre vieux peau-rouge d’oncle, Alicia ?

— Je ne vous quitterai pas pour cela ; n’est-il pas convenu avec M. d’Aspremont que nous demeurerons ensemble ? Vous savez bien que je ne puis vivre sans vous.

— M. d’Aspremont ! M. d’Aspremont !… La noce n’est pas encore faite.

— N’a-t-il pas votre parole… et la mienne ? — Sir Joshua Ward n’y a jamais manqué.

— Il a ma parole, c’est incontestable, répondit le commodore, évidemment embarrassé.

— Le terme de six mois que vous avez fixé n’est-il pas écoulé… depuis quelques jours ? dit Alicia, dont les joues pudiques rosirent encore davantage, car cet entretien, nécessaire au point où en étaient les choses, effarouchait sa délicatesse de sensitive.