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pages de mon cœur redevinrent blanches : tout nom, tout souvenir en disparurent. Je ne comprenais pas comment j’avais pu trouver quelque attrait dans ces liaisons vulgaires que peu de jeunes gens évitent, et je me les reprochai comme de coupables infidélités. Une vie nouvelle data pour moi de cette fatale rencontre.

« La calèche quitta les Cascines et reprit le chemin de la ville, emportant l’éblouissante vision : je mis mon cheval auprès de celui d’un jeune Russe très aimable, grand coureur d’eaux, répandu dans tous les salons cosmopolites d’Europe, et qui connaissait à fond le personnel voyageur de la haute vie ; j’amenai la conversation sur l’étrangère, et j’appris que c’était la comtesse Prascovie Labinska, une Lituanienne de naissance illustre et de grande fortune, dont le mari faisait depuis deux ans la guerre du Caucase.

« Il est inutile de vous dire quelles diplomaties je mis en œuvre pour être reçu chez la comtesse que l’absence du comte rendait très réservée à l’endroit des présentations ; enfin, je fus admis ; ― deux princesses douairières et quatre baronnes hors d’âge répondaient de moi sur leur antique vertu.

« La comtesse Labinska avait loué une villa magnifique, ayant appartenu jadis aux Salviati, à une demi-lieue de Florence, et en quelques jours elle avait su installer tout le confortable