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En effet, les yeux de M. d’Aspremont ne s’étaient pas dirigés une seule fois vers la jeune fille.

« Allons, fit-elle avec un grand soupir comiquement exagéré, je vois que je suis devenue une grosse et forte paysanne, bien fraîche, bien colorée, bien rougeaude, sans la moindre distinction, incapable de figurer au bal d’Almacks, ou dans un livre de beautés, séparée d’un sonnet admiratif par une feuille de papier de soie.

— Miss Ward, vous prenez plaisir à vous calomnier, dit Paul les paupières baissées.

— Vous feriez mieux de m’avouer franchement que je suis affreuse. — C’est votre faute aussi, commodore ; avec vos ailes de poulet, vos noix de côtelettes, vos filets de bœuf, vos petits verres de vin des Canaries, vos promenades à cheval, vos bains de mer, vos exercices gymnastiques, vous m’avez fabriqué cette fatale santé bourgeoise qui dissipe les illusions poétiques de M. d’Aspremont.

— Vous tourmentez M. d’Aspremont et vous vous moquez de moi, dit le commodore interpellé ; mais, certainement, le filet de bœuf est substantiel et le vin des Canaries n’a jamais nui à personne.

— Quel désappointement, mon pauvre Paul ! quitter une nixe, un elfe, une willis, et retrouver ce que les médecins et les parents appellent une jeune personne bien constituée ! — Mais