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VIII


M. d’Aspremont crut, en s’entendant injurier par la populace de Chiaja, qu’il était l’objet de ces litanies grossièrement burlesques dont les marchands de poisson régalent les gens bien mis qui traversent le marché ; mais une répulsion si vive, un effroi si vrai se peignaient dans tous les yeux, qu’il fut bien forcé de renoncer à cette interprétation ; le mot jettatore, qui avait déjà frappé ses oreilles au théâtre de San Carlino, fut encore prononcé, et avec une expression menaçante cette fois ; il s’éloigna donc à pas lents, ne fixant plus sur rien ce regard, cause de tant de trouble. En longeant les maisons pour se soustraire à l’attention publique, Paul arriva à un étalage de bouquiniste ; il s’y arrêta, remua et ouvrit quelques livres, en manière de contenance : il tournait ainsi le dos aux passants, et sa figure à demi cachée par les feuillets évitait toute occasion d’insulte. Il avait bien pensé un instant à charger cette canaille à coups de canne ; la vague terreur superstitieuse qui commençait à s’emparer de lui l’en avait empêché. Il se sou-