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raison physique de cette idée superstitieuse, car, dussiez-vous me juger comme un être entièrement dénué de poésie, je suis très incrédule : le fantastique, le mystérieux, l’occulte, l’inexplicable ont fort peu de prise sur moi.

— Vous ne nierez pas, miss Alicia, reprit le comte, la puissance de l’œil humain ; la lumière du ciel s’y combine avec le reflet de l’âme ; la prunelle est une lentille qui concentre les rayons de la vie, et l’électricité intellectuelle jaillit par cette étroite ouverture : le regard d’une femme ne traverse-t-il pas le cœur le plus dur ? Le regard d’un héros n’aimante-t-il pas toute une armée ? Le regard du médecin ne dompte-t-il pas le fou comme une douche froide ? Le regard d’une mère ne fait-il pas reculer les lions ?

— Vous plaidez votre cause avec éloquence, répondit miss Ward, en secouant sa jolie tête ; pardonnez-moi s’il me reste des doutes.

— Et l’oiseau qui, palpitant d’horreur et poussant des cris lamentables, descend du haut d’un arbre, d’où il pourrait s’envoler, pour se jeter dans la gueule du serpent qui le fascine, obéit-il à un préjugé ? a-t-il entendu, dans les nids, des commères emplumées raconter des histoires de jettatura ? — Beaucoup d’effets n’ont-ils pas eu lieu par des causes inappréciables pour nos organes ? Les miasmes de la fièvre paludéenne, de la peste, du choléra, sont-ils visibles ? Nul œil n’aperçoit le fluide électrique sur la broche du