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à l’ombre de beaux arbres, sous le ciel le plus doux du monde. Il est obligatoire, pour tout être un peu bien situé, de faire chaque jour une apparition aux Cascines. Je n’avais garde d’y manquer, et le soir, après dîner, j’allais dans quelques salons, ou à la Pergola lorsque la cantatrice en valait la peine.

« Je passai ainsi un des plus heureux mois de ma vie ; mais ce bonheur ne devait pas durer. Une magnifique calèche fit un jour son début aux Cascines. Ce superbe produit de la carrosserie de Vienne, chef-d’œuvre de Laurenzi, miroité d’un vernis étincelant, historié d’un blason presque royal, était attelé de la plus belle paire de chevaux qui ait jamais piaffé à Hyde-Park ou à Saint-James au Drawing-Room de la reine Victoria, et mené à la Daumont de la façon la plus correcte par un tout jeune jockey en culotte de peau blanche et en casaque verte ; les cuivres des harnais, les boîtes des roues, les poignées des portières brillaient comme de l’or et lançaient des éclairs au soleil ; tous les regards suivaient ce splendide équipage qui, après avoir décrit sur le sable une courbe aussi régulière que si elle eût été tracée au compas, alla se ranger auprès des voitures. La calèche n’était pas vide, comme vous le pensez bien ; mais dans la rapidité du mouvement on n’avait pu distinguer qu’un bout de bottine allongé sur le coussin du devant, un large pli de châle et le disque d’une