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reilles influences, je le conçois, dit miss Ward ; mais qu’un homme de votre naissance et de votre éducation partage cette croyance, voilà ce qui m’étonne.

— Plus d’un qui fait l’esprit fort, répondit le comte, suspend à sa fenêtre une corne, cloue un massacre au-dessus de sa porte, et ne marche que couvert d’amulettes ; moi, je suis franc, et j’avoue sans honte que lorsque je rencontre un jettatore, je prends volontiers l’autre côté de la rue, et que si je ne puis éviter son regard, je le conjure de mon mieux par le geste consacré. Je n’y mets pas plus de façon qu’un lazzarone, et je m’en trouve bien. Des mésaventures nombreuses m’ont appris à ne pas dédaigner ces précautions. »

Miss Alicia Ward était une protestante, élevée avec une grande liberté d’esprit philosophique, qui n’admettait rien qu’après examen, et dont la raison droite répugnait à tout ce qui ne pouvait s’expliquer mathématiquement. Les discours du comte la surprenaient. Elle voulut d’abord n’y voir qu’un simple jeu d’esprit ; mais le ton calme et convaincu d’Altavilla lui fit changer d’idée sans la persuader en aucune façon.

« Je vous accorde, dit-elle, que ce préjugé existe, qu’il est fort répandu, que vous êtes sincère dans votre crainte du mauvais œil, et ne cherchez pas à vous jouer de la simplicité d’une pauvre étrangère ; mais donnez-moi quelque