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qu’exerce la personne douée, ou plutôt affligée du mauvais œil.

— Je fais semblant de vous comprendre, de peur de vous donner une idée défavorable de mon intelligence si j’avoue que le sens de vos paroles m’échappe, dit miss Alicia Ward ; vous m’expliquez l’inconnu par l’inconnu : mauvais œil traduit fort mal, pour moi, fascino ; comme le personnage de la comédie je sais le latin, mais faites comme si je ne le savais pas.

— Je vais m’expliquer avec toute la clarté possible, répondit Altavilla ; seulement, dans votre dédain britannique, n’allez pas me prendre pour un sauvage et vous demander si mes habits ne cachent pas une peau tatouée de rouge et de bleu. Je suis un homme civilisé ; j’ai été élevé à Paris ; je parle anglais et français ; j’ai lu Voltaire ; je crois aux machines à vapeur, aux chemins de fer, aux deux chambres comme Stendhal ; je mange le macaroni avec une fourchette ; — je porte le matin des gants de Suède, l’après-midi des gants de couleur, le soir des gants paille. »

L’attention du commodore, qui beurrait sa deuxième tartine, fut attirée par ce début étrange, et il resta le couteau à la main, fixant sur Altavilla ses prunelles d’un bleu polaire, dont la nuance formait un bizarre contraste avec son teint rouge-brique.

« Voilà des titres rassurants, fit miss Alicia Ward avec un sourire ; et après cela je serais