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ment dans l’huile le centre de la vaste cuisine dont les angles restaient baignés d’ombre.

Les rayons lumineux tombant de haut modelaient avec des jeux d’ombre et de clair très pittoresques un groupe de figures caractéristiques réunies autour de l’épaisse table de bois, toute hachée et sillonnée de coups de tranche-lard, qui occupait le milieu de cette grande salle dont la fumée des préparations culinaires avait glacé les parois de ce bitume si cher aux peintres de l’école de Caravage. Certes, l’Espagnolet ou Salvator Rosa, dans leur robuste amour du vrai, n’eussent pas dédaigné les modèles rassemblés là par le hasard, ou, pour parler plus exactement, par une habitude de tous les soirs.

Il y avait d’abord le chef Virgilio Falsacappa, personnage fort important, d’une stature colossale et d’un embonpoint formidable, qui aurait pu passer pour un des convives de Vitellius si, au lieu d’une veste de basin blanc, il eût porté une toge romaine bordée de pourpre : ses traits prodigieusement accentués formaient comme une espèce de caricature sérieuse de certains types des médailles antiques ; d’épais sourcils noirs saillants d’un demi-pouce couronnaient ses yeux, coupés comme ceux des masques de théâtre ; un énorme nez jetait son ombre sur une large bouche qui semblait garnie de trois rangs de dents comme la gueule du requin. Un fanon puissant comme celui du taureau Farnèse unis-